vendredi 29 janvier 2010


ANNE BORNAND, monitrice d'auto-école à Vevey, un métier qui gagne à être connu.

ENQUETE SUR DES METIERS ET DES FEMMES

- Claire Chazeli : "Monitrice d'auto-école", c'est original comme profession pour une femme ?

- Anne Bornand : Peut-être à l'époque mais je suis tellement habituée à mon métier que je ne me rends même plus compte de l'impact que cela peut avoir dans l'esprit des gens !

-Claire Chazeli : Et lorsque vous avez commencé il y a 15 ans ?

- Anne Bornand : Ouh là ! Oui, c'était différent. Les gens étaient surpris mais souvent favorablement.
Il y a eu parfois des réactions difficiles mais cela reste marginal.

-Claire Chazeli : Vous étiez nombreuses ?

-Anne Bornand : Non, hélas. Mais il y a eu des monitrices bien avant moi. Je ne suis pas une pionnière. Actuellement, nous sommes vraiment nombreuses.


-Claire Chazeli : Y-a-t-il des avantages ou des inconvénients à être une femme dans ce métier ?

- Anne Bornand : Oh, beaucoup d'avantages ! C'est une très belle profession pour une femme.

A l'époque, j'ai réussi à élever mes deux fils tout en menant de front mon activité d'indépendante.

-Claire Chazeli : Que doit-on faire pour devenir moniteur d'auto-école ?

-Anne Bornand : Je n'ose pas répondre ! ( rire) Je vais décourager des vocations !

- Claire Chazeli : On veut tous savoir !
- Anne Bornand : Bon, d'abord, il faut avoir un permis professionnel ( TPP) et suivre au minimum 870 heures de cours. La formation dure environ 2 ans et coûte entre frs. 35.000 et frs 40.000.

- Claire Chazeli : Incroyable ! Mais que faites-vous pendant toutes ces heures ?

- Anne Bornand : Il y a des cours de droit ( beaucoup), de mécanique, de physique, de pédagogie, de comptabilité... Il y a aussi des cours sur l'enseignement de la conduite, de la théorie, du cours de sensibilisation, etc..
C'est une formation qui a beaucoup évolué.

- Claire Chazeli : Avez-vous trouvé cette formation difficile ?

- Anne Bornand : Oui, mais aussi passionnante et très riche.

- Claire Chazeli : Quelles sont les qualités indispensables pour faire ce métier ?

- Anne Bornand : De la patience, énormément de patience. De la compréhension, du leadership aussi et surtout beaucoup de calme et de franchise.

Il faut savoir encourager un élève et aussi savoir lui dire qu'il fait des erreurs techniques ou de comportement.

- Claire Chazeli : De comportement ?

- Anne Bornand : Oui, certains sont trop timides ou passifs, ils ont de la peine à prendre des décisions indispensables à la conduite.

D'autres peuvent être trop agressifs sur la route.

Il faut les calmer et les protéger d'eux-mêmes.

- Claire Chazeli : Ils sont nombreux ?

- Anne bornand : Non, ce n'est vraiment pas la majorité. Nous sommes plutôt confrontés à une conduite bâclée voire carrément négligée.

Beaucoup sous-estiment le niveau du permis....

- Claire Chazeli : Quels sont les conseils que vous pouvez leur donner ?

- Anne Bornand : D'anticiper beaucoup plus, d'être sérieux, autonome

et raisonnable. C'est du reste le meilleur moyen d'économiser des heures
d'auto-école !!!

- Claire Chazeli : Mais encore ?

- Anne Bornand : Ne pas aller trop tôt au service auto. Il faut vraiment que le candidat au permis se sente prêt, qu'il soit capable de rouler n'importe où, qu'il sache gérer les situations difficiles et bien sûr qu'il aye dépassé son stress.

- Claire Chazeli : Que pensez-vous de la conduite privée ? L'auto-école avec papa ou maman, c'est dépassé ?

- Anne Bornand : Bien au contraire ! Je l'encourage vivement !

Du reste, la crise a des effets positifs. On revient à l' époque où j'ai appris à conduire. On se débrouillait avec les parents, les amis et on venait à l'auto-école pour structurer et affiner la conduite, pour parquer aussi et surtout pour découvrir les parcours d'examens avec les pièges à éviter.

- Claire Chazeli : Vous ne craignez pas qu'un jeune conducteur prenne des défauts ?

- Anne Bornand : Ils en ont tous ! Ce n'est pas grave ! On est là pour ça.

On corrige. Mais s'ils ont la possibilité de commencer à conduire en privé, c'est vraiment un avantage pour eux.

Ils se familiarisent avec la boîte, le pédalier, le démarrage, etc...Là aussi, ils peuvent économiser des heures.

- Claire Chazeli : Avez-vous un conseil à donner à leurs accompagnateurs?

- Anne Bornand : La sécurité est primordiale. Il faut choisir des endroits sans danger, éviter les heures de pointe, la nuit ou les endroits en pente s'ils ne savent pas encore faire des démarrages en côte.

Avant toutes choses, que l'accompagnateur fasse des démonstrations au volant et donne un maximum d'explications.

- Claire Chazeli : Et pour les nerfs?

- Anne Bornand : Ah! c'est clair que c'est difficile d'apprendre dans les cris et aussi de ne pas stresser en tant qu'accompagnateur devant le danger.

- Claire Chazeli : Et vous Anne Bornand? Vous stressez?

- Anne Bornand : Bien sûr, comme tous les moniteurs! C'est un métier très lourd sur ce plan. Nous vivons dans le danger. Il y a des jours terribles qui peuvent provenir des erreurs commises par notre client ou du comportement des autres conducteurs.

- Claire Chazeli : Quelle est votre plus grande peur?

- Anne Bornand : Le piéton ou les deux roues. Ils n'ont pas de carrosserie!

- Claire Chazeli : Avez-vous déjà eu des accidents en auto-école ?

- Anne Bornand : Pas encore ! Mais comme je dis toujours, il faut rester modeste et vigilant, çela peut m'arriver demain. Par contre, on m'a déjà enfoncé l'arrière.

- Claire Chazeli : Voyez-vous une différence entre les filles et les garçons?

- Anne Bornand : Question piège! (rire) pas vraiment mais certains garçons surestiment leur niveau de conduite. Je le vois comme un avantage. Avec de la pédagogie, on les corrige et ils font des progrès rapides. Mais on ne peut pas généraliser.
- Claire Chazeli : Et les filles?

- Anne Bornand : Certaines sous-estiment leurs capacités or qu'elles ont un bon niveau. Les garçons ont tendance à cacher leurs émotions et les filles à l'exprimer. Mais façe à l'examen, au service-auto, ils ont tous peur.
- Claire Chazeli : Quelle est votre définition du mauvais moniteur?

- Anne Bornand : Celui qui écrase le candidat au permis avec trop d'autorité. Il commande tout et réduit son élève à un robot.

Quelque part, il tue le travail d'analyse et de décision de son élève.

Difficile de réussir un permis de conduire dans ces conditions!

Certains autres moniteurs étouffent leurs clients par trop de "gentillesse" en les assistants en permanence. Le résultat est le même.

- Claire Chazeli : et vous? comment faites-vous?

- Anne Bornand : Pour faire bref, j'enseigne, j'explique et je les laisse faire. Je corrige et de nouveau je les laisse libre. Encore et encore. Il ne faut pas faire de l'assistanat et surtout ne pas laisser son élève s'installer dans le rôle de l'assisté.

C'est parfois difficile de le leur faire comprendre.

- Claire Chazeli : Donc vous préconiser l'autonomie?


- Anne Bornand : Absolument! C'est la plus grande préocupation de tout enseignant : que son élève arrive à se débrouiller seul après explication ou démonstration.

- Claire Chazeli : Mais vous êtes bien obligée d'intervenir parfois?

- Anne Bornand : C'est clair sinon je ne serais plus en vie depuis bien longtemps et aurais fait pas mal de casse.

Mais j'essaye d'intervenir le plus tard possible au volant ou aux doubles commandes.

- Claire Chazeli : Parlons-en. C'est difficile de gérer une voiture depuis la droite avec la boîte et le volant à gauche ?

- Anne Bornand : Non, j'adore ça ! C'est une question d'habitude.

- Claire Chazeli : Comment les autres conducteurs réagissent face aux erreurs d'un L ?

- Anne Bornand : Bon, on n'arrive pas à tout rattraper. Parfois, c'est vraiment difficile surtout s'ils "plantent" la voiture avec le frein. On n'a aucune pédale pour "dé-freiner". La peur de la collision par l'arrière est vraiment affreuse. Là, on n'a que la voix:"roule ! roule ! gaz !"

Mais dans l'ensemble, il y a de la tolérance parfois de l'amusement.

Il m'arrive aussi vraiment d'avoir honte des bêtises de mes jeunes apprentis !!!

- Claire Chazeli : Avez-vous eu des clients incroyables ?

- Anne Bornand : Oh oui! inoubliables. J'ai fait un permis avec une sourde muette profonde qu'elle a réussi du premier coup. Mes collègues me demandaient comment j'avais fait et j'étais incapable de répondre. Je ne me l'explique toujours pas aujourd'hui. On arrivait à se comprendre sans se parler, on a même eu des fous rires ensemble. C'était assez incroyable!

Il y a aussi des permis qui sont vraiment douloureux comme c'est ancien alcoolique qui avait fait toutes les démarches pour réobtenir un permis provisoire. L'enjeu était vraiment capital et la joie immense quand il l'a réussi. Pour la première fois depuis dix ans, il avait pu aller chercher ses filles à l'école.

- Claire Chazeli : On peut parler de permis de réhabilitation ?

- Anne Bornand : Complètement! Comme cette entraîneuse à Lausanne, mère de deux enfants et qui voulait sortir de ce milieu. Je devais aller la chercher loin de son travail car elle ne voulait pas qu'on sache qu'elle faisait le permis. Elle arrivait avec un gros manteau qu'elle enlevait dans la voiture. Sa tenue vestimentaire était pour le moins...époustouflante!!!

- Claire Chazeli : Avez-vous refusé des clients ? ou congédié des clients ?

- Anne Bornand : Très rarement mais oui comme tous les moniteurs.

Il faut aussi savoir se protéger et j'aime trop mon métier pour prétériter le bonheur que j'ai à le vivre tous les jours !!!
- Claire Chazeli : Merci, Anne Bornand, pour la franchise de vos réponses et pour la lumière que vous avez apportée sur un métier qui n'est pas toujours bien connu. Espérons que vos conseils aideront les nouveaux conducteurs à réussir leur permis !!!


interview- anne bornand cpt-2209-Claire Chazeli-enquête sur des métiers et des femmes-janvier 2009